
Pendant longtemps, la lactation de la chienne a été peu étudiée mais la prise de conscience du rôle clé que joue la nutrition néonatale et pédiatrique sur la santé à court et long terme des chiens stimule les recherches. Une meilleure connaissance de la composition du colostrum et du lait de chienne permet aussi de faire évoluer la composition des laits maternisés destinés aux chiots. Dans une synthèse publiée en juin 2023, le Pr Sylvie Chastant fait l’état des lieux des connaissances actuelles.
Physiologiquement, la lactation est induite par la forte diminution des concentrations de progestérone et l’augmentation de la prolactine dans le sang en fin de gestation.
La production de lait peut commencer dès 2 semaines avant la mise-bas mais il arrive aussi qu’elle ne démarre que 2-3 jours après.
Composition du colostrum
Les nouveau-nés sont étroitement dépendants d’une ingestion suffisante de colostrum
pour survivre. Les immunoglobulines (Ig) G apportées par le colostrum sont en effet essentielles pour l’acquisition de l’immunité passive par les chiots nouveau-nés.
Le colostrum se définit par sa richesse en IgG (environ 20 fois supérieure à celle
du lait) mais celle-ci chute rapidement : 24 heures après la mise-bas, la concentration
en IgG du colostrum a déjà diminué de 50 %. La consommation du colostrum doit de toute façon être précoce puisque la barrière intestinale des chiots nouveau-nés devient imperméable aux anticorps au bout de 12 heures de vie.
Concentration en IgG
La concentration en IgG du colostrum canin est en moyenne de 20 g/l mais elle varie
de 3,1 à 68,8 g/l selon les chiennes. Il est conseillé d’effectuer les rappels de vaccination
peu avant les chaleurs pour optimiser la concentration du colostrum en anticorps dirigés contre des agents pathogènes tels que l’herpèsvirus et le parvovirus canins.
Composants nutritifs
L’énergie du colostrum est apportée à environ 50 % par les protéines et 40 % par les
lipides. Dans une étude portant sur 81 chiennes, le taux de matières grasses variait cependant de 1 à 15, selon les mamelles, chez une même chienne, tandis que la concentration en protéines et en glucides allait du simple au double.
La concentration en IgG et la valeur énergétique du colostrum ne sont pas corrélées
Autres composants
Le colostrum canin apporte de nombreux composés bioactifs, facteurs de croissance et hormones (insuline, cortisol et thyroxine) aux chiots. Les concentrations en deux enzymes (la gamma-glutamyl-transférase et la phosphatase alcaline) y sont respectivement 100 et 10 fois plus élevées que dans le sérum maternel. Comme ces enzymes sont à peu près absentes dans le sang circulant à la naissance, leur détection dans le sérum des chiots nouveau-nés confirme l’ingestion du colostrum. Des éléments cellulaires sont présents dans le colostrum, notamment des « exosomes » qui transportent des protéines essentielles au développement vasculaire, au métabolisme et probablement à l’accumulation de réserves adipeuses. Le colostrum contient aussi un microbiote spécifique qui influence la colonisation bactérienne de l’intestin du chiot.
Différences fonctionnelles entre les mamelles
Le colostrum produit par les différentes paires de mamelles n’a pas la même composition. Chez une chienne donnée, la concentration en IgG peut varier d’un facteur 5,9 selon les paires de mamelles considérées. Ce ne sont cependant pas toujours les mêmes paires de mamelles qui produisent le colostrum le plus riche en IgG selon les individus et aucune recommandation ne peut donc être faite pour encourager la tétée d’une paire plutôt qu’une autre pour obtenir le meilleur transfert. Le comportement des chiots contribue de toute façon à neutraliser les différences de qualité immunitaire du colostrum entre mamelles puisqu’ils tètent en moyenne 5 mamelles (± 2) au cours de leurs 12 premières heures. Les chiots nouveau-nés ne tètent pas toutes les mamelles de manière équivalente : pendant les premières 24 heures de vie, ils passent 30 % de leur temps d’alimentation à téter les glandes mammaires inguinales (les plus caudales) et seulement 17 % les autres mamelles.
Production laitière de la chienne
Au cours de la première semaine de lactation, la chienne produit l’équivalent de 1,7 à 4,4 % de son poids sous forme de lait. Le pic de lactation est atteint vers la 3e semaine après la mise-bas : la quantité de lait représente alors 7,6 à 8,3 % du poids corporel maternel. La production laitière de la chienne augmente avec la taille de la portée : elle est trois fois plus importante chez les chiennes ayant plus de 6 chiots que chez celles ayant moins de 4 chiots. Le lait de chienne contient deux fois plus de matière sèche que le lait de vache (21-26 % vs 13 %). La caséine représente 70 % des protéines du lait. La concentration en lactose augmente au cours de la première semaine de lactation, alors que le pourcentage de protéines diminue. Le taux de lipides reste à peu près constant au cours de la lactation : sa concentration est environ 3 fois supérieure à celle du lait de vache. Au total, la valeur énergétique d’un lait canin est deux fois supérieure à celle d’un lait bovin ou caprin. Ni le lait de vache ni celui de chèvre ne permettent de couvrir les besoins énergétiques d’un chiot. Le lait contient également des hormones, des substances antimicrobiennes, des facteurs de croissance et des bactéries. Les IgA sécrétées dans le tissu mammaire favorisent la santé intestinale locale du nouveau-né.
Modulation de la lactation
Une bonne production de lait dépend d’une bonne alimentation avant la mise-bas.
Chez la chienne, il est conseillé d’augmenter l’apport énergétique à partir de la 6e semaine de gestation. La quantité de calories consommées doit être multipliée par 1,5 par rapport à la période d’entretien. D’un point de vue qualitatif, la composition du lait peut être marginalement modifiée en supplémentant la mère avec des prébiotiques, des probiotiques ou des acides gras essentiels. La consommation alimentaire de la chienne doit aussi être contrôlée après la mise-bas : elle peut parfois être insuffisante lorsque le post-partum est douloureux ou que des facteurs de stress sont présents dans l’environnement. Certaines chiennes très maternelles refusent aussi de quitter leur portée pour manger et boire.
Bien que le colostrum et le lait de la chienne conditionnent la santé néonatale et pédiatrique des chiots, les connaissances sont très limitées par rapport à celles accumulées chez les ruminants. Les facteurs maternels et environnementaux influençant la quantité et la qualité du colostrum ou du lait doivent être mieux explorés, y compris ceux qui agissent avant la mise à la reproduction.
Pour en savoir plus :
- CHASTANT S., « Lactation in domestic carnivores », Animal Frontiers, 2023, 13, 78-83, DOI : doi.org/10.1093/af/vfad027.
- CHASTANT-MAILLARD S., MILA H., « Passive immune transfer in puppies », Anim. Reprod. Sci., 2019, 207, 162-170, DOI : 10.1016/j.anireprosci. 2019.06.012.
- CHASTANT-MAILLARD S. et al., « Canine and feline colostrum », Reprod. Domest. Anim., 2017, 52 (Suppl. 2), 148-152, DOI : 10.1111/rda.12830
Paru dans Lignées N°57 (janvier 2024 )